La réforme du calendrier grégorien entre Réforme et Contre-Réforme (I)

Quand le pape Grégoire XIII remit Pâques à sa place

 

Le 24 février 1582, la bulle pontificale Inter gravissimas du pape Grégoire XIII, annonçait à toute la chrétienté le remplacement du calendrier julien par le calendrier grégorien. Cette réforme permettait de coordonner l’année civile avec l’année tropique. La conséquence immédiate fut la suppression de dix jours au mois d’octobre cette année-là. Ainsi, la nuit du 4 octobre au 15 octobre 1582 intronisa officiellement l’entrée en vigueur du calendrier grégorien. Voilà pour l’histoire officielle.

Pourtant, si l’on s’intéresse de plus près à la mise en oeuvre de cette réforme, bienvenue et salutaire, nous découvrons qu’elle connut en réalité bien des obstacles. Contexte politique tendu, idéologies religieuses exacerbées, suceptibilités nationales, le calendrier grégorien ne parvint à s’imposer totalement qu’au début du XXe siècle.

 

Grégoire XIII, le héros discret de la réforme du calendrier grégorien

 

Elu pape le 13 mai 1572 sous le nom de Grégoire XIII, le cardinal Ugo Boncompagni, occupa cette prestigieuse fonction durant treize années. Poursuivant la politique religieuse de ses prédécesseurs, il concentra son action sur la lutte contre l’expansion du protestantisme. Il estimait qu’un clergé bien formé constituait l’arme la plus efficace pour contrer les enseignements de l’Eglise réformée. Fort de cette conviction, son pontificat se distingua surtout par la création de nombreuses fondations de séminaires. Soulignons aussi son soutien envers la toute nouvelle Compagnie de Jésus (très engagée dans la contre-Réforme), qu’il confirma comme ordre religieux. En digne pape de la Renaissance, il poursuivit aussi l’embellissement du palais du Vatican.

Somme toute une ligne politique, religieuse et culturelle assez conventionnelle. Son pontificat. n’aurait pas laissé un éclat particulier dans la longue histoire de l’Église catholique, sans un coup de pouce du destin. Il prit la forme d’un dysfonctionnement bienvenu qui assura à Grégoire XIII une célébrité posthume aussi inattendue que durable.

Les voies du Ciel sont impénétrables… et les conséquences d’une erreur mathématique tout autant.

 

Ajourd’hui, le calendrier grégorien est utilisé dans le monde entier. Il est difficile d’imaginer qu’il dû attendre le début du XXe siècle pour s’imposer comme calendrier universel.

Idéologies religieuses, intérêts politiques, conservatismes, les raisons humaines sont toujours les mêmes.

 

Aux origines du calendrier grégorien

 

Dans les années 1570, les autorités ecclésiastiques catholiques se trouvaient devant un dilemme de plus en plus inquiétant. Pour quelle raison Pâques était célébré de plus en plus tôt ? Pourtant, depuis le concile de Nicée de 325 ap. J.-C., une règle d’or déterminait chaque année la date de cette fête chrétienne fondamentale. Le calcul de la date de Pâques se fondait d’après l’équinoxe de printemps ; le premier dimanche après la première pleine lune qui suivait le 21 mars. Le choix de cette date n’était pas anodin. Il renforcait le symbolisme de Pâques - le triomphe de la vie sur la mort - par le renouveau du printemps et de sa floraison.

Depuis - 46 av. J.-C., le monde occidental tournait au rythme du calendrier julien. Il avait été initié par Jules César, alors pontifex maximus à Rome, pour remettre de l’ordre dans le calendrier romain qui partait à vau l’eau. Pour ce faire, le grand homme s’était adressé à l’astronome grec Sosigène d’Alexandrie. Celui-ci avait mis en oeuvre une méthode de mesure du temps fondée sur un cycle de quatre ans. Trois années communes de 365 jours et une année bissextile pour se coordonner avec le cycle solaire de 365,25 jours ; le système, compréhensible pour tous, semblait (apparemment) logique. On n’en demanda pas davantage.

Héritage de l’empire romain, le calendrier julien restait employé dans toute l’Europe et constituait le socle du calendrier liturgique chrétien. Cependant, de toute évidence, quinze siècles plus tard, une anomalie insidieuse se révélait au grand jour. Pour quelle(s) raison(s) ?

 

Inititié par Jules César, le calendrier julien avait été conçu pour se coordonner avec l’année tropique. Malheureusement, une infime erreur de calcul enrayait le système dès l’origine ; elle se révèlerait au grand jour quinze siècles plus tard. Heureusement pour le grand homme, celui-ci était mort depuis bien longtemps pour encourir le couroux papal.

 

Un pape Grégoire XIII au pied du mur

 

Reconnaissons-le, le dysfonctionnement du calendrier julien arrivait à un bien mauvais moment. Critiquée depuis le début du siècle pour ses dérives simoniques, ses ventes d’indulgences et la moralité douteuse de son clergé, l’Église catholique vacillait sous les coups de la religion réformée. Depuis plusieurs décennies, les actions politiques et religieuses de la papauté étaient centrées sur la lutte contre l’expansion du protestantisme. La fuite de Pâques vers les obscurités hivernales constituait donc pour le pape Grégoire XIII un bâton supplémentaire dont il n’avait nul besoin pour se faire battre.

Certes, le Pape ne pouvait être tenue responsable de l’erreur supposée d’un astronome grec de l’Antiquité. Cependant, le contexte religieux - la contre-Réforme - plaçait le souverain pontif face à ses responsabilités. En 1545, le Concile de Trente, réunissant tout le gotha écclésiastique, avait mis en oeuvre un vaste programme de réformes pour lutter contre la montée du protestantisme en Europe. L’heure était grave, il était indispensable de réaffirmer à l’ensemble de la chrétienté l’universalité de l’Eglise catholique.

A cette occasion, les pères concilaires avaient confirmé l’autorité et le jugement infaillible du Pape sur l’organisation du bréviaire (1). Cette prérogative comprenait, entre autre, la coordination du cycle de Pâques et des autres fêtes mobiles, sur le cours du Soleil et de la Lune. C’était bien à Grégoire XIII de trouver le noeud du problème du calendrier julien et le moyen de le démêler. Son prestige sacerdotale était en jeu. Une aide précieuse lui vint alors de l’Université et des astronomes.

(1) Livre liturgique contenant l’ensemble des prières et les hymnes religieux à réciter dans la journée et les jours fériés.

 
« Réforme grégorienne ou réforme du calendrier grégorien ? Ne confondons pas les deux :

La réforme grégorienne doit son nom au pape Grégoire VII qui initia au XIe siècle un vaste mouvement réformiste au sein de l’Eglise.

La réforme du calendrier grégorien fut mise en oeuvre en 1582 par le pape Grégoire XIII pour remettre à l’heure les pendules de la chrétienté.  »
 

Les lauriers perdus de Luigi Lillio

 

Heureusement pour Grégoire XIII, la Renaissance fut aussi une période faste pour l’Astronomie, qui connut à ce moment-là des avancées majeures. Les connaissances des astronomes leur permettaient à présent de recalculer le temps de l’année tropique d’une manière beaucoup plus exacte, soit 365,24219 jours.

Ce résultat démontrait mathématiquement une erreur fondamentale du calendrier julien. Son concepteur, Sosigène d’Alexandrie, avait imaginé un système calendaire destiné à se coordonner avec le cycle solaire, calculé à 365,25 jours. Dès l’origine, une erreur de calcul - un décalage de 11 minutes et 14 secondes - enrayait le calendrier julien. Cette infime différence, cumulée durant quinze siècles, aboutissait à un constat accablant en 1582 : le calendrier julien devançait de dix jours le cycle solaire. Grégoire XIII pouvait mesurer toute l’étendue du problème.

La postérité est souvent injuste. Qui connaît aujourd’hui le nom de Luigi Lillio ? Il est vrai que l’on sait peu de choses sur la vie de l’homme. A l'image de l’humaniste, il cumula les connaissances et les activités, philosophe, médecin, mathématicien, professeur d’université, astronome, physicien… Et précurseur d’une réforme dont nous sommes encore les héritiers : le calendrier grégorien. C’est bien lui, qui imagina, calcula et conçu un système de gestion du temps qui se coordonnait (enfin) avec l’année tropique.

En 1577, les résultats de son étude furent publiés sous le nom de Compendium novae rationis restituendi kalendarium (1) . Présentée devant la commission apostolique de réforme, elle fut approuvée après quelques corrections apportées par le jésuite Christophorus Clavius. Mort en 1576, Luigi Lillio ne sut jamais que son étude servirait de base à une réforme majeure du temps chrétien. Hélàs pour lui, il ne put protester lorsque celle-ci prit le nom du pape Grégoire XIII. A l’exemple de Sosigène d’Alexandrie, initiateur du calendrier julien, il n’eut pas son mot à dire lorsqu’un grand de ce monde s’appropria les lauriers de la postérité.

(1) Recueil d’une nouvelle méthode de restauration du calendrier.

 

Entre tolérance et condamnations, l’attitude de l’Eglise catholique envers les astronomes a souvent été empreinte d’ambiguïté. Mais, ce sont bien eux qui surent démontrer à la papauté que l’origine du problème du calendrier julien venait du fond de l’Antiquité.

 

Un calendrier grégorien réformiste mais non révolutionnaire

 

Au vu des constats des astronomes et des mathématiciens, la réforme du calendrier chrétien devait poursuivre plusieurs objectifs précis. Le premier, bien évidemment, consistait à rétablir l’alignement du calendrier liturgique sur le cycle réel du Soleil. A cette fin, il était nécessaire de trouver un système de rééquilibrage de l’année calendaire de 365 jours sur l’année solaire de 365,2421 jours ; ceci avec beaucoup plus de précision que le système julien. Ce nouveau calendrier permettrait ainsi de définir un calcul de la date de Pâques en accord avec les prescriptions du concile de Nicée.

Si le système préconisé par Lillio introduisait une réforme salutaire, celle-ci n’avait rien de révolutionnaire. Elle reprenait le calendrier julien dans ses grandes structures : le nombre de jours dans l’année, les divisions des mois et des semaines, le décompte des minutes. En fait, le changement majeur et fondamental se focalisait sur le critère de calcul des années bissextiles. Une différence qui faisait toute la différence.

Le calendrier grégorien partait d’un principe : la durée réelle moyenne du cycle solaire était de 365, 2421 jours et non de 365,25 jours. De ce fait, la coordination de l’année calendaire sur l’année tropique exigeait des critères bien plus complexes que ceux du calendrier julien. Sans nous perdre dans des explications scientifiques vertigineuses pour le néophyte, gardons en mémoire le principe grégorien suivant :

Une année “grégorienne” bissextile est toujours divisible par quatre sans l’être par cent. Si celle-ci correspond à un nouveau millénaire (1600, 1700, 1800, etc.), elle doit être divisible par quatre et par quatre cents.

Ainsi, suite à la réforme grégorienne, la prochaine année bissextile fut l’année 1584 (divisible par 4 mais non par 100). Les millénaires 1700, 1800 et 1900, non divisibles par 400, ne le furent pas. Restons-en là.

 
« Le cycle du calendrier grégorien est structuré sur quatre cents ans :

trois siècles comprenant chacun 24 cycles julien, puis un siècle avec 25 cycles julien.

Ce système permet d’affirmer qu’une date, quelle qu’elle soit, se reproduit le même mois, même quantième et même jour de la semaine quatre cents ans plus tard.

 »
 

Une juridiction universelle ?

 

Le problème résolu, il restait une dernière tâche pour Grégoire XIII : informer le monde chrétien (et non chrétien) du remplacement du calendrier julien par le nouveau calendrier grégorien. Cette décision faisait incontestablement partie des “très nobles tâches du ministère pastoral” du Pape. Mais une bulle pontificale avait-elle la valeur d’une loi universelle ?

Depuis toujours, la papauté le prétendait, puisqu’elle s’adressait à tous les chrétiens, catholiques et protestants, sinon à la totalité du monde connu. Cependant, cette ambition s’était heurtée à maintes reprises à la contestation, voire à l’opposition, de souverains “très chrétiens” certes, mais qui entendaient bien rester “empereurs en leur royaume”. Les États temporels revendiquaient leur pleine souveraineté dans leur gouvernement. Elle se traduisait, entre autre, par le droit d’examiner chaque bulle papale avant d’accorder leur exequatur (1). Ce que rejetait résolument le Saint-Siège, fort du caractère universel de sa juridiction. La publication d’une bulle pontificale posait donc, à la source, un problème juridique qui pouvait dégénérer, selon le contenu et le contexte, en un conflit politique. De nombreux exemples du passé démontraient que le risque n’était pas à dédaigner. Et certainement, Grégoire XIII ne l’ignorait pas.

(1) Décision qui rend exécutoire sur le territoire national un jugement ou un acte étranger.

 

Diffusée dans toute la chrétienté, la bulle pontificale Inter gravissimas annonçait le passage à l’heure grégorienne au moment où le mouvement de la Contre-Réforme s’efforçait de contrer l’expansion du protestantisme.

Son application (ou non) serait révélatrice des zones d’influence de la papauté.

 

Il était pourtant primordiale que cette réforme soit acceptée unanimement par tous les pays occidentaux. Non seulement le prestige de la papauté était en jeu, mais aussi la bonne marche des affaires du monde (politiques, religieuses, économiques, etc). Pour ce faire, Grégoire XIII allait user avec dextérité d’un bâton de velours dans une main de fer.

Fin de la première partie.

A suivre

 
Crédits photo:Pixabay 
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